Épilogue

Salomon d’Ondes se convertit à la religion catholique à la Saint-Jean d’été, après boire. Vitalis le Troué et frère Bernard Lallemand, revenus ce jour-là à Toulouse, avaient invité leurs compagnons à un festin de fruits et de vin sous l’orme de l’Oratoire. Il faisait une chaleur accablante, et le juif était ivre à demi quand il accepta de jouer sa religion aux deniers, avec frère Bernard. Le moine, plus saoul que lui, mais d’une habileté très neuve aux jongleries, n’eut guère de mal à le faire chrétien. Salomon accepta sa défaite avec une tendre bonhomie, disant qu’il devait en être ainsi. Il fut donc baptisé le lendemain à la cathédrale Saint-Étienne par Jacques Novelli, en présence de l’évêque Gui, d’une belle assemblée de fidèles et de Stéphanie, venue pour l’occasion d’Avignonet.

Jacques, à cette date, avait abandonné sa charge de Grand Inquisiteur de Toulouse. Il était désormais chanoine de la très riche abbaye de Fontfroide, que son oncle lui avait laissée en héritage. Au cours de l’hiver qui suivit, il fut intronisé évêque de Pamiers. Salomon et Stéphanie vinrent alors s’installer dans cette ville, près de la maison épiscopale où ils s’enrichirent convenablement à faire commerce de drap et de laine d’Ariège.

Ils parlèrent souvent avec Novelli de la nuit qu’ils avaient ensemble vécue sur la colline de Naurouze. Salomon prétendit un jour que s’il avait épousé la foi chrétienne, c’était peut-être en souvenir de ces heures communes, mais il n’en fut lui-même jamais sûr. Pourtant, au cours d’un séjour qu’ils firent à Rome (Jacques était alors cardinal), ils résolurent tous les trois d’être enterrés, quand l’heure serait venue, au pied du chêne double où était Jean le Hongre. Salomon trépassa le premier. Il y eut sa sépulture, si l’on en croit le témoignage de frère Bernard Lallemand, qui s’en était revenu en son couvent des frères prêcheurs après que Vitalis eut été bastonné à mort sur l’ordre d’un seigneur d’Aquitaine qu’il avait trop rudement raillé. Novelli mourut en Avignon, auprès du pape Benoît XII, dont il était devenu le confident. Ses funérailles officielles furent célébrées à Toulouse. Dès la nuit qui suivit, son corps fut porté en grand secret (Gui de l’Isle était du voyage) à la cime de cette butte dont un versant connaît des vents que l’autre ignore.

Quant à sa compagne, on ne sait rien d’assuré sur sa fin. Cependant, les archives d’Avignonet rapportent que le premier jour de l’an 1360 une très vieille femme fut trouvée morte couchée entre les chênes jumeaux de Naurouze. Elle était veillée par une boiteuse folle qu’il fut impossible de séparer d’elle. On peut donc raisonnablement estimer que Stéphanie était venue mourir auprès de Jacques Novelli, qu’elle ne cessa jamais d’appeler son époux.